MAUVAISE NOUVELLE: LES CREVETTES ROYALES NE COÛTENT PAS CHER


Nous pouvons tous constater que les pays occidentaux consomment actuellement beaucoup plus de crevettes caramotes (appelées aussi crevettes royales) qu’il y a dix ans. Comment cela se fait-il? Eh bien c’est surtout parce qu’elles ne coûtent pas cher et que nous avons perdu l’habitude de les réserver pour les occasions spéciales. Et pourquoi leur prix a-t-il baissé? Tout simplement parce que l’offre est beaucoup plus importante. Cela ne signifie pas pour autant que, dans nos mers, ces crevettes se soient mises à se reproduire comme jamais auparavant, mais plutôt que nous les importons de plus en plus d’autres régions du monde.

C’est dans les années 70 qu’on a commencé à élever les crevettes caramotes dans les piscicultures, obtenant ainsi de grandes quantités à des prix bien plus bas que ceux de la pêche. Aujourd’hui, un tiers de la production mondiale de crevettes royales provient de l’aquaculture et les deux autres tiers, de la pêche. Le rythme de la pêche et de l’élevage de ce type de crevettes est actuellement absurde, et cela pour des raisons aussi différentes que variées.

Les crevettes caramotes issues de l’élevage

Les zones côtières marécageuses des pays tropicaux sont normalement des mangroves: des forêts de mangles, des arbres vivant en eau salée. La plupart des fermes de crevettes caramotes ont été installées dans ces régions: les mangroves sont alors complètement rasées et deviennent des “piscines”.

Les mangroves sont l’un des écosystèmes les plus riches du monde. En effet, les gens qui vivent aux alentours obtiennent beaucoup de poissons, de reptiles, de mammifères, de mollusques, de crustacés, d’oiseaux, de plantes médicinales, d’herbes, de poisons, de substances pour tanner, d’épices, de bois, etc. En détruisant une mangrove, on fait disparaître la source de toutes ces ressources, en plus de l’environnement naturel de toutes ces personnes et une partie de leur identité culturelle.

Les mangroves filtrent les sédiments qui vont de la terre vers la mer et, en les taillant, les récifs de corail qui se trouvent face aux côtes sont ensevelis. Il faut savoir que 10% de la pêche marine mondiale est obtenu dans ces récifs.

Les mangroves protègent la côte des orages et des ouragans et freinent à l’érosion. Les zones que sont touchées de manière moins virulente par les tsunamis sont celles protégées pare les récifs de corail et les mangroves en bon état de conservation.

La FAO estime que depuis 1980, environ 25% des mangroves ont disparu, la plupart suite à l’installation des fermes de crevettes caramotes.

Pour apporter de nouvelles crevettes dans les fermes, on doit capturer des larves ou des femelles portant des œufs (bien qu’on ait commencé à obtenir qu’elles se reproduisent dans les cuves), ce qui diminue le nombre de spécimens disponibles dans la mer pour les pêcheurs locaux. Par ailleurs, on calcule qu’en capturant une larve on serait en train de tuer une centaine de poissons.

Les fermes produisent une grande quantité de matière organique résiduelle qui déséquilibre la zone marine ou elle est déversée. Et l’eau des piscines doit constamment être renouvelée.

Et qui donc connaît la composition de la nourriture que l’on donne à ces crevettes? Il est possible que les fabricants eux-mêmes l’ignorent. On sait déjà qu’elle contient de la farine de poisson, ce qui ne fait pas exactement partie de la diète naturelle de ce petit crustacé. En plus, il faut trois tonnes de poisson transformé en farine pour produire une tonne de crevettes royales.

L’élevage de crevettes caramotes fait partie des cultures utilisant le plus de pesticides, antibiotiques, immunostimulants, etc. Les crevettes peuvent contenir des résidus de tous ces produits, pas du tout salutaires. Par exemple, le chloramphénicol est un antibiotique interdit car il peut provoquer un type d’anémie mortelle pour l’être humain, mais il est quand même habituellement utilisé car on n’a toujours pas trouvé d’autre manière de lutter contre certaines épidémies dans les cuves.

Les pêcheurs doivent augmenter la quantité de leur pêche pour pouvoir faire la concurrence aux prix des crevettes caramotes isues de l’élevage, ce qui mène a la surexploitation de la mer.

Les fermes de crevettes caramotes éliminent les poissons des mangroves, privant les habitants de la zone de leur principale source de protéines animales. En plus, ils n’ont pas accès à ces crevettes élevées dans les cuves car la plus grande partie est destinée aux pays du Nord.

On est arrivé à employer la violence et commettre des assassinats pour voler des terres et y installer des fermes de crevettes caramotes; il y a eu des morts dans au moins 11 pays.

La durée de vie de ces cuves est de 3 à 10 ans (parce que les restes d’antibiotiques, de nourriture, de sel, etc. les rendent inhabitables); en Équateur, 90% de celles qui y ont été construites ont déjà été fermées.

L’apparition de l’aquaculture dans les années 70 promettait un salaire aux “pauvres pêcheurs” des régions côtières. Trente ans plus tard, il s’avère qu’avec leur argent, ces gens-là peuvent acheter moins de poissons qu’ils n’en pêchaient auparavant, et en plus ils ne peuvent plus aller pêcher à la mangrove car elle n’existe plus. Par ailleurs, le salaire dépend de facteurs aléatoires: la mode des crevettes royales peut se terminer en Occident, il peut y avoir une épidémie incontrôlable (en 1999, l’Équateur a connu un virus qui a fait baisser les ventes à moins de la moitié) ou simplement qu’il n’y ait plus de cuves.


Les crevettes caramotes issues de la pêche

Pour les pêcher directement de la mer, on emploie une technique qui consiste à lancer le filet jusqu’au fond et à l’entraîner, ramassant ainsi les crevettes caramotes mais aussi toute sorte de faune marine, larves incluses. On calcule que pour chaque kilo de crevettes, le filet capture entre 5 et 10 kilos d’autres espèces. Tous ces poissons “accessoires” meurent et sont lancés par dessus bord. La pêche aux crevettes royales pourrait être à l’origine d’un tiers du poisson lancé par dessus bord dans le monde. Il est impossible de quantifier les effets de ce massacre de masse dans l’écosystème marin.

Selon la FAO, on peut facilement constater que beaucoup de ces crevettes sont pêchées au détriment d’une loi quelle qu’elle soit.

La pêche massive de crevettes caramotes prive aussi les pêcheurs locaux de leur principale source de protéines animales.

Par ailleurs, le transport frigorifique des crevettes à travers le monde, qu’elles proviennent de la pêche ou de l’élevage, implique une consommation énergétique considérable.

Toutes ces problématiques ont été reconnues par la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui a élaboré plusieurs rapports sur la situation et rédigé un code de conduite pour contrôler les impacts ecosociaux de la pêche et de l’élevage de crevettes caramotes. La convention internationale de Ramsar exige un moratoire sur l’ouverture de nouvelles fermes tant que leur impact n’a été évalué plus en profondeur. Mais rien n’est appliqué: l’industrie des crevettes est toujours en expansion, en grande partie grâce aux subventions de la Banque Mondiale.


Quelques problèmes de fond

Ce n’est pas que nous soyons particulièrement maladroits en ce qui concerne les crevettes royales ; il s’agit plutôt d’un trait génétique de notre culture:

Moins cher, c’est mieux Il s’agit peut-être de la plus universelle de nos lois. D’où la priorité de produire en masse (pour minimiser les coûts unitaires) plutôt que d’adapter le rythme de production à celui des écosystèmes. Et on évite certaines choses qui ont un coût économique, comme d’appliquer des mesures pour réduire l’impact sur l’environnement ou de rémunérer correctement la main d’œuvre.

Comme par magie! Nous évaluons positivement le fait que les consommateurs n’aient pas à s’inquiéter de ce qui a pu se passer avant que les produits n’ “apparaissent” sur les étalages, mais uniquement d’avoir de l’argent pour les acheter. Cela nous fait oublier que pour obtenir n’importe quelle ressource, nous dépendons inexorablement des écosystèmes. Cela favorise aussi la pratique de formes de production qui seraient rejetées s’il elles étaient connues du grand public, et cela rend plus difficile la détection, suffisamment à l’avance, des signes d’épuisement des écosystèmes, de manière à éviter les situations irréversibles.

“Développement” Le contact direct avec la nature est méprisé parce que l’on croit que cela est contraire au développement (par exemple, avoir de l’argent pour acheter des crevettes royales est mieux perçu que de les pêcher directement). C’est un dogme appliqué de manière automatique, il n’est pas habituel de tenir compte du fait que chaque situation concrète peut être évaluée de manière différente.

Que pouvons nous faire en tant que consommateurs?

D’après le professeur d’économie écologique espagnol Joan Martínez Alier, les consommateurs de crevettes caramotes cultivées qui habitent en Europe, aux Etats-Unis ou au Japon, ont une responsabilité morale vis-à-vis de cette destruction d’écosystèmes et de moyens de subsistance humaine. Il est vrai que toutes ces situations sont à la fois l’effet et la cause des grandes quantités de crevettes que nous consommons

Faisons en sorte que ces crevettes royales redeviennent un produit réservé pour les occasions spéciales, nous leur rendrons en même temps leur caractère réellement particulier.

N’achetons que des crevettes caramotes pêchées dans nos mers (une petite part de celles que nous trouvons sur le marché).

Posons-nous aussi des questions sur le mode de production des petites crevettes roses (ou gambas) - beaucoup d’entre elles pêchées industriellement en Argentine - et de manière générale, sur le mode de production de n’importe quel autre produit.

Appliquons cela à la maison mais aussi au restaurant.