L'OEUVRE M'APPARTIENT, MAIS PEUX-TU LA COPIER?

Le copyright de la plupart des œuvres établit que tous les droits (de copier, de modifier, de digitaliser ou de transmettre l'œuvre de quelque manière que ce soit) sont réservés au titulaire du copyright, et n'importe quelle autre personne doit lui demander la permission pour faire n'importe laquelle de ces actions (par contre la copie de l'œuvre est permise pour un usage privé et non lucratif, et pour des usages bien déterminés liés à l'éducation, la recherche ou le prêt bibliothécaire).
   
La réalité technologique de nos jours (accès généralisé à internet et à des équipements pour copier et créer, la digitalisation de toute sorte d'œuvres...) ont provoqué un changement de contexte. Si avant, le copyright protégeait principalement un éditeur et/ou un auteur contre un autre éditeur qui voudrait copier et commercialiser l'œuvre sans lui payer des droits d'auteur, aujourd'hui il prétend protéger des auteurs ou des titulaires des droits contre le public "pirate".

 Vision conventionnelle

Selon la vision conventionnelle, celui qui copie un livre ou toute œuvre artistique, ne l'achète pas, et pour cette raison l'auteur ne recevra pas de rémunération pour son œuvre à travers les droits d'auteur, qui représentent souvent 10% du prix de vente au public hors taxe. Par conséquent, si le phénomène de la copie se généralise, la production culturelle et artistique diminuera. Cette argumentation mène à la défense du traditionnel tous droits réservés.

Dans cette optique et face au changement de contexte dont nous parlions, l'interprétation et l'application de la loi a évolué dans le sens de restreindre les droits du public. Par exemple, les copies faites avec une photocopieuse à usage public (bibliothèque, entreprise...) ou dans un magasin de photocopies sont considérées comme des copies non privées ou à but lucratif; par conséquent ces établissements doivent payer chaque année une licence pour pouvoir faire des photocopies, ainsi que la taxe de compensation, payée au moment de l'achat d'appareils tels qu'une photocopieuse. Une directive européenne oblige à percevoir une redevance pour prêts aux bibliothèques en concept de droits d'auteur, que les utilisateurs ou les bibliothèques elles-même doivent payer; quelques pays n'ont pas encore adopté cette directive.

Cette interprétation restrictive des droits du public est celle qui est adoptée par une grande partie de l'industrie culturelle et les sociétés de gestion de droits d'auteur. C'est pour cette raison qu'elles mettent des obstacles technologiques aux copies (systèmes anti-copie sur les DVD, localisateurs de copies sur internet...), qu'elles financent des campagnes de prise de conscience et qu'elles font pression en faveur d'une législation plus restrictive.

Vision copyleft

Dans la vision copyleft, l'auteur continue a percevoir un pourcentage sur les ventes et continue a exercer son droit moral de décider comment sera diffusée l'œuvre. La différence est qu'il ne se réserve pas systématiquement les droits de copie, mais il peut en céder quelques uns (ou tous) au public: quelques droits réservés. Concrètement, cela permet toujours que tout le monde copie, distribue, lise, visionne, écoute, etc., son œuvre, aussi bien de façon privée que publique, sans avoir à demander une permission s'il le fait sans but lucratif. Et il peut obtenir l'exclusivité sur l'usage commercial de l'œuvre, ou également permettre que d'autres personnes s'en servent dans un but lucratif.

L'intention de cette manière de gérer les droits d'auteur est de "libérer" la culture, et y faciliter l'accès. Elle cherche en fait, un équilibre entre les droits d'auteur et ceux du public, de telle façon que l'un et l'autre soient bénéficiaires.

La culture est-elle en danger avec la vision copyleft?

La vision copyleft soutient, en comparaison avec la vision conventionnelle, que c'est la restriction des droits qui porte préjudice à la plupart des auteurs, autant qu'elle porte préjudice au public et à la divulgation culturelle en général.

En réalité, très peu d'auteurs peuvent vivre de leurs droits d'auteur, excepté les plus célèbres. Une très petite fraction des livres qui sont publiés (0,5% dans le cas de l'Espagne) atteint les 15.000 exemplaires vendus. Il y a une vingtaine de grands best sellers. Sur la plupart des titres, seules des petites centaines d'exemplaires sont vendus. Le prix moyen des livres n'est vraiment pas élevé : environ 12 euros dans le cas de l'Espagne, environ 7 euros pour la Turquie. L'auteur reçoit généralement 10% de ce prix de vente au public : nous donnons 1 euro par exemplaire vendu. La plupart des auteurs, par conséquent, peuvent aspirer, dans le meilleur des cas, à toucher environ 1.000 euros annuels par livre publié. Avec cela il n'y a pas de quoi joindre les deux bouts...Et les auteurs à grands succès (15.000 exemplaires) recevraient 15.000 euros par an.; ce n'est pas la fortune non plus. Pour la grande majorité des auteurs, les principales sources de revenus proviennent des activités qui font le prestige d'être auteur d'une œuvre (conférences, articles de presse...) et du mécénat public ou privé (commissions, bourses...). Il n'est donc pas certain que les revenus par la vente de copies soient indispensables pour la création culturelle.

D'autre part, la diffusion libre d'une œuvre n'a pas de raison de se traduire par une diminution des ventes, et il peut se passer le contraire. Un modèle de comportement peut être: Je vais télécharger tel livre sur internet. Si je ne l'avais pas trouvé de cette manière, je n'aurais certainement jamais su qu'il existait ou je ne l'aurais pas lu. Il va tellement me plaire que je vais l'acheter pour finir de le lire plus confortablement et je vais le passer à deux amis; l'un deux se l'est acheté. Le fait que l'on puisse voir l'œuvre dans son intégralité ouvre plusieurs possibilités de promotions (liens à travers les sites web, une profusion de comptes-rendus, activation du bouche à oreille, utilisation publique de l'œuvre, citation de fragments dans d'autres publications...). Ainsi, la libre circulation d'une œuvre peut finir par entraîner non pas moins, mais plus de ventes.

La libre diffusion des œuvres et la possibilité généralisée d'y accéder entraînent une prolifération d'encouragements intellectuels et culturels qui se traduit par plus de production et par plus de personnes intéressées par la production culturelle. Les sites internet où l'on peut mettre en ligne des photos, de la musique, des vidéos, etc. sont pleines de créations.